L’agrivoltaïsme, une technologie entre opportunité et besoin d’encadrement

Le 27 septembre, à Nancy, le réseau Générateurs a organisé une journée dédiée à l’agrivoltaïsme. Une soixantaine de participants (élus, agents de collectivité, développeurs, représentants associatifs, agriculteurs…) ont pris part à une table ronde autour de la question : « Comment développer un projet agrivoltaïque de territoire, conciliant maintien de l’activité agricole et production d’énergie ? ».

Nous vous livrons ici les enseignements tirés de la table ronde, ainsi que le retour d’expérience du projet de Stéphane Ermann, éleveur ovin et porteur de projet agrivoltaïque dans le sud de la Moselle.

 

L’agrivoltaïsme, une solution complémentaire pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050

Tous les scénarios de transition énergétique convergent vers une augmentation très significative de la part du photovoltaïque dans le mix électrique, en parallèle d’une importante électrification des usages. En effet, selon les scénarios (ADEME, RTE, Négawatt…) il faudrait atteindre entre 100 et 200GW d’installations photovoltaïques d’ici 2050 pour parvenir à la neutralité du mix énergétique en France, alors que la puissance installée mi 2024 est de 21 GW.

Cette montée en puissance ne pourra se réaliser sans une part de photovoltaïque au sol, l’ADEME et différents instituts de recherche ayant mis en évidence que la solarisation des toitures n’était pas suffisante pour atteindre les puissances nécessaires.

Si la mobilisation du foncier déjà artificialisé (friches, parkings, délaissés routiers, terres incultes…) doit bien entendu être la priorité en matière de photovoltaïque, des complémentarités peuvent être trouvées entre les installations photovoltaïques et le foncier agricole, en partageant sur une même parcelle une ressource (le soleil) et deux usages (l’agriculture et la production d’énergie) : c’est le principe de l’agrivoltaïsme.

Selon les filières agricoles (maraîchage, arboriculture, élevage…), les complémentarités, les avantages et les précautions à prendre pour mettre en place un projet agrivoltaïque seront de nature différente.

Les synergies entre activité agricole et production photovoltaïque

Les installations agrivoltaïques doivent être conçues pour apporter des services agronomiques, en apportant des bénéfices tels que la protection contre les aléas climatiques, l’amélioration du bien-être animal ou l’adaptation au changement climatique.

L’objectif est de créer une synergie où l’agriculture reste l’activité principale, tandis que la production d’énergie renouvelable est une activité secondaire, offrant des revenus complémentaires et contribuant à la transition énergétique.

Les installations photovoltaïques doivent d’abord apporter des bénéfices agronomiques, cela constitue la condition sine qua non instaurée par la loi APER de mars 2023 et confirmée par le décret du 8 avril 2024. Les panneaux solaires peuvent en effet offrir de nombreux bénéfices pour les exploitations agricoles : protection des cultures contre les aléas climatiques, adaptation aux effets du changement climatique, amélioration du bien-être animal.

Une opportunité de diversification économique pour la profession agricole et les territoires

Par ailleurs l’agrivoltaïsme peut également constituer une opportunité économique pour les agriculteurs. En effet, même si les constats diffèrent selon les filières et les territoires, la profession agricole souffre globalement d’un manque de revenus liés à la vente de leurs productions agricoles. C’est la raison pour laquelle les énergies renouvelables, en en particulier les installations agrivoltaïques, peuvent constituer une diversification bienvenue pour assurer la rentabilité d’une exploitation, et envisager les transmissions plus sereinement. En effet la diversification des sources de revenus peut rendre le métier d’agriculteur plus attractif, notamment pour les jeunes générations.

Concrètement, cette opportunité économique se traduit d’abord en termes d’un loyer versé par le développeur agrivoltaïque si l’exploitant est propriétaire de son foncier, mais également en termes de dividendes si l’agriculteur a la possibilité de participer à l’investissement. Plus le projet sera à taille humaine, plus les agriculteurs auront les moyens d’investir dans les projets.

Par ailleurs, les collectivités peuvent également en tirer des revenus grâce aux retombées de l’IFER et de la taxe d’aménagement, et plus globalement les territoires pourront également bénéficier de retombées en lien avec les prestations de travaux et de services associées à la mise en place du projet.

Le prérequis est néanmoins que l’installation agrivoltaïque permette le maintien de la productivité agricole : la production photovoltaïque doit permettre de maintenir ou d’améliorer les rendements agricoles.

L’agrivoltaïsme, une pratique qui doit placer l’agriculture au centre

L’agrivoltaïsme, encore peu répandu, soulève plusieurs questions cruciales pour son développement à grande échelle. Parmi les points abordés lors de la journée, des enjeux se sont particulièrement démarqués :

        • Comment encadrer les enjeux environnementaux et paysagers et quelle place pour les acteurs des territoires dans la construction des projets ?

        • Comment garantir un partage de la valeur équitable entre l’exploitant agricole, le propriétaire du foncier agricole, le développeur et le territoire ?

        • Comment préserver les rendements agricoles et éviter les projets alibis ?

        • Comment éviter les phénomènes de spéculation foncière sur foncier agricole ?

        • Comment encadrer la tension entre la nécessaire adaptabilité de l’agriculture et le figement dans le temps des systèmes agricoles générée par les installations agrivoltaïques ?

        • Comment soutenir les agriculteurs financièrement dans le développement de ces projets, souvent couteux à mettre en place, tout en leur assurant des retours sur investissement à long terme ?

        • Enfin, comment intégrer l’agrivoltaïsme dans les programmes de formation des lycées agricoles afin de préparer les futurs agriculteurs à cette pratique innovante ?

Ces questions nécessitent des réponses adaptées pour permettre le déploiement harmonieux de cette nouvelle approche, permettant le maintien de l’activité et du foncier agricole en permettant une production énergétique complémentaire.

Le projet agri-compatible de Réchicourt-le-Château

« Stéphane Ermann, éleveur ovin, a expliqué comment son projet permet de préserver les pâturages pour ses moutons, de maintenir les haies et les prairies qui contribuent au stockage du carbone, et de rester dans une démarche d’agriculture biologique. Les panneaux protégeront ses animaux des conditions climatiques extrêmes, tout en améliorant la rétention d’herbe pour le pâturage en été. L’énergie produite générera un revenu complémentaire, tout en valorisant son activité. »

L’exploitation de Stéphane Ermann est en GAEC, avec une production majoritairement ovine certifiée bio et un atelier secondaire en poulet également certifié AB. Les brebis sont nourries à l’herbe, avec d’importantes surfaces de prairies.

La réflexion concernant l’agrivoltaïsme a débuté autour de 2015 lorsque la Fédération Nationale Ovine, à laquelle M. Ermann est élu, s’est emparée du sujet afin d’envisager une source de diversification économique pour une filière ayant parmi les plus bas revenus agricoles.

L’objectif de développer un projet photovoltaïque sur foncier agricole était ainsi d’assurer une source de diversification économique pour l’exploitation, mais également d’apporter un ombrage, bienvenu pour le bien-être animal et pour la pousse de l’herbe dans un contexte de réchauffement climatique et d’étés souvent secs et caniculaires. Les 10 dernières années, les sécheresses ont été nombreuses, avec comme conséquence la nécessité d’acheter des compléments alimentaires pour remplacer l’herbe.

Un Comité de Pilotage associant de nombreux acteurs du territoire a été constitué en 2019 autour du GAEC et du développeur NEOEN, associant également la commune de Réchicourt-le-Château, la Communauté de Communes de Sarrebourg Moselle Sud, le PETR du Pays de Sarrebourg, la Chambre d’agriculture, la DDT, le syndicat ovin, le Parc Naturel Régional de Lorraine…

Le projet a largement évolué au fil du temps, en fonction des préconisations et observations du COPIL et des études environnementales : aujourd’hui il s’étend sur 50 hectares de prairie, avec des panneaux de 1,2m de hauteur, pour une puissance totale de 37 MW.

Une prise de participation au capital des deux associés du GAEC a été envisagée mais n’a pas été retenue au regard des investissements nécessaires.

Il est enfin important de préciser que le projet de Réchicourt-le-Château n’est pas un projet agrivoltaïque au sens du décret du 8 avril, mais bien un projet agri-compatible. Le permis de construire a quoi qu’il arrive été accordé avant le décret et n’y est donc pas soumis, mais en se référant au texte, le critère de couverture maximum de 40% n’est pas respecté. Ainsi pour être accordé avec les règles actuelles, le foncier aurait dû être identifié dans le document-cadre de la Chambre d’Agriculture qui identifie les terres compatibles avec le développement de projets photovoltaïques sur foncier agricole.

Le permis de construire ayant été accordé, le projet est maintenant confronté à l’enjeu du raccordement au réseau de l’installation agrivoltaïque, les capacités du poste source à proximité ayant été initialement surestimées.

Rédigé par

Les Générateurs

Catégorie

Photovoltaïque